Tahia Filastine, une identité de résistance 🇵🇸
Le mercredi 11 mai dernier, nos cœurs ont été meurtris lorsque nous avons appris la mort de notre consœur bien-aimée, Shireen Abu Akleh. Tandis qu’elle couvrait une attaque de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée, pour Al Jazeera, la journaliste a été tuée d’une balle qui l’a touché à la tête. Comme bon nombre de Palestiniens, Shireen Abu Akleh représente la résistance d’un peuple démuni, morcelé et méprisé depuis bien trop longtemps. On ne les compte plus, les images de violence, les nombreuses expulsions et injustices qui repassent en boucle sur nos écrans depuis maintenant des décennies. Alors, si pendant très longtemps, certains ont botté en touche, se cachant derrière un «conflit israélo-palestinien» beaucoup trop complexe pour se prononcer, ou encore derrière le fameux argument du «terrorisme du Hamas», aujourd’hui des voix semblent s’unir pour dire les termes exactes et sans détour. Apartheid, colonisation et effacement. Voila contre quoi doivent lutter quotidiennement les Palestiniens. Alors pour Shireen Abu Akleh, pour ceux qui se sont battus et tout ceux qui continuent à se battre, nous dédions cette newsletter. Parce qu’il est primordial de documenter les différentes trajectoires palestiniennes, nous vous proposons de retrouver deux récits de femmes palestiniennes exilées. Rima Hassan dont la famille s’est retrouvée déracinée suite à la Nakba en 1948 et Ward Selmi qui malgré son départ de Gaza continue à porter fièrement les couleurs de sa terre natale. L’artiste Lena Kassicieh nous fait également l’honneur de partager avec nous une création en hommage à Shireen Abu Akleh. Pour continuer à nous éduquer et à soutenir la cause palestinienne, l’équipe d’Arabia vox vous propose différentes recommandations et enfin notre playlist pour continuer à célébrer les identités palestiniennes qui ne mourront jamais.
Bonne lecture💌
Un édito de Fatma Torkhani, fondatrice et rédactrice en cheffe d’Arabia Vox.
💬 Témoignage de Rima Hassan
D’aussi loin que je me souvienne et depuis le travail entamé sur la conscientisation de mon identité, je l’ai toujours perçue comme une lutte d’existence à mener.
Une sorte d’identité dans laquelle je ne connaîtrais pas de répit et qui ne m’offrirait pas de repos.
J’ai le souvenir d’affiches des intifadas placardées sur les murs de notre appartement HLM dés notre arrivée en France.
Une affiche plus que toutes les autres ne quittera jamais mon esprit, il s’agissait d’une photo d’une enfant jetant des pierres à un char de l’armée israélienne, cette photo ma mère avait décidé de la placarder sur la porte d’entrée de l’appartement, elle s’assurait de cette façon que ça serait la dernière chose que l’on aurait en tête en quittant la maison.
Et ça a marché.
J’ai compris très vite que ma mère aussi, celle qui m’a tout transmis en matière d’héritage sur l’identité palestinienne, vivait aussi son identité en souffrance, en revendication, en lutte d’existence.
D’une certaine façon, il fallait que cette identité se voit, qu’on la crie, qu’on la clame.
Au fond, il était de notre devoir de la faire exister là où en Palestine elle risquait d’être enterrée.
De ce fait, si j’ai toujours été fière d’être Palestinienne, j’ai rarement été apaisée avec l’idée d’embrasser pleinement cette identité.
J’en souffre et c’est important pour moi de le dire sans détour.
Je l’ai donc embrassée oui, parfois cachée aussi, souvent reniée, quelquefois tuée pour éviter que ne me la reproche.
Il faut dire que j’avais cette dimension de l’exil qui s’ajoutait au fardeau d’une identité déjà meurtrie.
Une identité émiettée par l’exil forcé c’est une identité qui insécurise, une identité fragilisée et qui demande à être réparée.
Il m’a fallu des années pour devenir assez solide pour en faire quelque chose qui doit rayonner.
Il a notamment fallut accepter qu’être Palestinien fini un moment ou un autre par nous coûter.
De ce fait, si j’ai toujours été fière d’être Palestinienne, j’ai rarement été apaisée avec l’idée d’embrasser pleinement cette identité.
J’en souffre et c’est important pour moi de le dire sans détour.
Quand il m’arrive de penser à mon identité de réfugiée Palestinienne, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est le terme de survivant, en l’occurrence de survivant de la Nakba (grand exode palestinien qui a dépossédé 75% de la population de sa terre en 1948 suite à la création de l’État d’Israël).
Cinq générations d’exil forcé, de camps indignes et une mémoire qui nous survit, malgré tout.
La survie fait pleinement écho à cette lutte d’existence qui est a mon sens est devenue intrinsèque de l’identité palestinienne.
Peut-être parce qu’être survivant ce n’est pas seulement sauver sa vie, c’est aussi sauver son identité.
La souffrance des Palestiniens est là; devoir survivre dans une identité qui elle se meurt.
Il y a en nous cette obsession de la maintenir en vie, car au fond c’est notre survie qui en dépend.
Nous composons avec cette idée que si notre identité meurt, nous mourrons avec elle.
Et c’est précisément en cela qu’être Palestinien est par essence une lutte d’existence perpétuelle qui est menée partout là où un Palestinien se revendique Palestinien..
Nous ne pouvons pas nous cantonner à définir ce que nous sommes, nous avons intégré que cette identité n’existerait qu’à travers la lutte que nous mènerons au quotidien pour la faire vivre.
La souffrance des Palestiniens est là; devoir survivre dans une identité qui elle se meurt.
Une lutte que l’on conscientise pas toujours, qui s’impose à nous, qui s’immisce partout et en tout temps et qui est ravivée à la moindre actualité.
Être Palestinien c’est vivre avec l’angoisse de plus pouvoir l’être un jour. Parce qu’une identité colonisée, persécutée est par essence une identité contestée, confrontée au risque de sa propre extinction.
Ce sentiment de vivre avec une invalidation permanente de ce que nous sommes et ce à quoi nous avons légitimement droit, nous broie.
Si nous ne sommes plus Palestiniens, si nous sommes empêchés de l’être, que sommes-nous censés être alors ?
Que devons nous devenir aux yeux de ceux qui se refusent à nous accepter tels que nous sommes ?
Où devons-nous aller aux yeux de ceux qui nous refusent nos terres ?
💬 Témoignage de Ward Selmi
Bordée par un amour inconditionnel tout au long de mon enfance, par ceux qui font de la Palestine un havre d’espoir malgré toute la douleur et la difficulté que l’on traverse.
Malheureusement, comme tous les jeunes qui ont l’occasion de partir, j’ai dû avec mon frère jumeau, moi aussi quitter le pays qui nous a regardé naître, bourgeonner et fleurir. C’est assez commun en Palestine, si un adolescent même mineur à l’occasion de quitter le pays, ses parents l’encouragent à le faire, tout simplement pour un quotidien plus sûr et un avenir meilleur.
Ayant grandi en Palestine, je n’ai jamais connu le calme, la tranquillité ou la sécurité. À Gaza, chaque instant de vie, est un potentiel moment de mort. Mais malgré la peur que cela a plantée en moi, cela a également planté un courage inégalable.
J’ai aujourd’hui l’ardeur de défendre ma maison, ma terre, mon héritage.
La Palestine.
Nos droits, où que je sois.
J’étais, je suis et je serai toujours fière de mon identité, de femme palestinienne.
Propos recueillis par Dima Kaakeh, journaliste chez Arabia Vox
🖍La carte blanche de Lena Kassicieh
💭Sur cette terre, de Mahmoud Darwich
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : l’hésitation d’avril, l’odeur du pain à l’aube, les opinions d’une femme sur les hommes, les écrits d’Eschyle, le commencement de l’amour, l’herbe sur une pierre, des mères debout sur un filet de flûte et la peur qu’inspire le souvenir aux conquérants.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : la fin de septembre, une femme qui sort de la quarantaine, mûre de tous ses abricots, l’heure de soleil en prison, des nuages qui imitent une volée de créatures, les acclamations d’un peuple pour ceux qui montent, souriants, vers leur mort et la peur qu’inspirent les chansons aux tyrans.
Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie : sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues. On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine. Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame.
Mini playlist ♫
🎼 Dammi Falastini, Mohammed Assaf
🎼 Nirvana in Gaza, Saint Levant
🎼Sindibad, Shabjdeed (Prod. Al Nather)
🎼Gamar, 47 Soul
🎼El kofeyye arabeyye, Shadia Mansour
🎼Milliardat, DAM
Pour en écouter plein d’autres, il suffit de nous ajouter sur Spotify, Apple Music ou Deezer.🎶
Notre playlist Palestine 🇵🇸 en entier 👇
Pour aller plus loin 🔍
“La terre nous est étroite”, Mahmoud Darwich.
“Out of place”, les mémoire d’Edward Saïd
Le film Les citronniers, de Eran Riklis (2008)
Le compte instagram, Nakba Survivor de Rima Hassan
Suivre les actualités de notre partenaire, Ciné Palestine
“Exhausted on the cross”, Najawan Darwish
It Mut Be Heaven, Elia Suleiman.
L’épisode de notre podcast, Exil et identité palestinienne avec Rima Hassan.
Mieux comprendre l’histoire de la Nakba avec cet article du Monde, La Nakba, « catastrophe » en arabe, un concept forgé il y a 70 ans
Le mot de notre partenaire Ciné-Palestine 🤝
Le Festival Ciné-Palestine (FCP) est un festival de cinéma créé en 2015, qui se tient chaque année dans plusieurs lieux en Île-de-France, et qui s'est donné pour mission de contribuer à la promotion du cinéma palestinien. Depuis sa création, le Festival Ciné-Palestine s’est affirmé comme un rendez-vous incontournable dans l’agenda culturel de Paris et sa banlieue. En permettant la diffusion d’œuvres d’artistes palestinien.ne.s et/ou évoquant la Palestine, le festival a pour ambition de mettre en valeur la qualité du cinéma palestinien et sa diversité. Dépassant les restrictions imposées par les frontières, le FCP offre aux artistes palestinien.ne.s la possibilité de rencontrer leur public et de créer un espace de discussions, de rencontres et de débats autour du cinéma palestinien. Cette année, le focus est sur les féminismes en Palestine et dans le monde arabe. Nous mettons en avant les réalisatrices palestiniennes et issues du monde arabe pour partager l'aspect multi-dimensionnel du combat des femmes en Palestine. Au contraire d'une moyenne internationale qui révèle depuis toujours une forte majorité de réalisateurs, la scène cinématographique palestinienne montre quant à elle une très grande concentration de réalisatrices. Pourtant, la valorisation du cinéma palestinien ne se concentre toujours que trop majoritairement sur celui des hommes. C’est donc avec entrain que l’édition de cette année tentera d’y remédier. De plus, nous rendrons hommage à l'écrivain Ghassan Kanafani pour les 50 ans de son assassinat lors des projections à Marseille, du 7 au 9 juin. Kanafani est l’une des figures activistes les plus marquantes du combat pour la libération de la Palestine, assassiné 50 ans plus tôt par les services du Mossad. Son oeuvre est encore aujourd’hui porteuse de l’identité palestinienne, à travers des ouvrages phares comme «Retour à Haifa» ou encore «Des hommes dans le soleil». Les projections mettrons son histoire en scène ainsi que certaines adaptations de ses oeuvres. Comme vous pouvez ou pourrez le voir, le festival ne cesse de prendre de l'ampleur chaque année. S'y développent de multiples scènes : nos programmes de mentorat (trois réalisateur.rices sont en ce moment en résidence à la Cité des arts de Paris, accompagné.es de leurs mentor.es) ; mais aussi nos concours de court métrage qui permettent de faire découvrir des jeunes réalisateur.rices palestinien.nes et arabes; enfin, nos nombreux évènements sur l'année, comme les Ciné-clubs et les concerts de soutien, dont le dernier, aux Amarres, a prouvé par son succès la nouvelle ampleur que prend notre Festival.
👀 Previously sur Arabia Vox…
Comme à notre grande habitude, on adore vous faire découvrir des artistes de la région et dernièrement nous avons mit à l’honneur le Maghreb avec la Marocaine Oum et le tunisien Sabry Mosbah. On n’oublie pas bien sûr la touche nostalgique avec une de nos chanteuses préférées des 90’s, la libanaise Pascal machaalani 🇲🇦🇹🇳🇱🇧
Le dernier épisode de notre podcast Allô 213 est toujours disponible et n’attend que vous. Cette fois-ci, Donia Ismail interroge la place du Tamazight dans la langue algérienne. C’est passionnant 🇩🇿
Dans le dernier épisode du podcast d’Arabia Vox, Fatma Torkhani s’est entretenue avec la sociologue et écrivaine Kaoutar Harchi 🎙
On vous a parlé de la série Oussekine, disponible sur Disney+ dans le dernier Œil d’Arabia Vox 🧿
Ce 5 juin, Donia Ismail aura le plaisir d’animer une rencontre avec Sarah Ghoula, dont le premier roman, “nos silences sont immenses”, est fraichement publié chez nos amis Les Faces Cachées. On compte sur vous pour venir nombreux 😉
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