Oum Kalthoum, la diva immortelle đ
«LâAstre dâOrient», «la quatriĂšme pyramide», «Sit» (la grande dame), tant dâexpressions et de surnoms dĂ©finissent celle qui est considĂ©rĂ©e encore aujourd'hui comme la plus belle et plus importante voix du monde arabe. Alors que ce 3 fĂ©vrier, nous commĂ©morions les 47 ans de sa mort, il nous a paru plus quâimportant de rendre un hommage Ă la seule et unique, Oum Kalthoum. La diva Ă©gyptienne nâest pas seulement cette chanteuse aux capacitĂ©s vocales hors normes, capable de provoquer chez ses auditeurs le tarab, ce sentiment de transe qui envahit le public Ă lâĂ©coute de sa voix prolongeant les notes jusquâĂ lâinfini, elle est Ă©galement un personnage historique de premier plan, mythique et lĂ©gendaire. Issue dâune famille rurale et pauvre, elle trouve son premier public en son pĂšre, un imam qui remarque trĂšs rapidement les prouesses de sa jeune fille et la dĂ©guise en garçon pour lui permettre de chanter. Oum Kalthoum est Ă©galement une femme qui a su sâimposer dans un milieu musical majoritairement masculin. Dans une Ăgypte en pleine expansion, tous les grands musiciens se pressaient pour avoir lâhonneur de lâentendre chanter leurs compositions.
DerriĂšre ses lunettes noires, ses longues robes et son mouchoir quâelle tenait Ă la main pour vaincre son stresse, elle a su faire face Ă lâhypersexualisation et aux injonctions faites aux femmes artistes. Loin des milieux Ă©litistes et culturels, elle est Ă©galement une femme du peuple, auquel elle nâa cessĂ© de sâadresser tout long de sa carriĂšre. Et câest ce qui constitue sĂ»rement sa plus grande force. Nous aimons tous Oum Kalthoum (si ce nâest pas encore le cas, ça va venir ne vous inquiĂ©tez pas) et cet amour se transmet malgrĂ© lâĂ©loignement, les exils et les pertes.
Dans cette newsletter, Donia Ismail nous raconte avec Ă©motion sa premiĂšre rencontre avec la dame, un Ă©tĂ© de 2009 Ă Alexandrie. Vous retrouvez Ă©galement une crĂ©ation de Yanis Ratbi, entre gloire et poĂ©sie. Nous vous avons Ă©galement concoctĂ© des recommandations pour en savoir plus sur la Sit, une playlist spĂ©ciale divas du monde arabe dont Oum Kalthoum est lâune des pionniĂšres. Et enfin toute lâactualitĂ© de cette semaine.
Bonne lectuređÂ
Un Ă©dito de Fatma Torkhani, fondatrice et rĂ©dactrice en cheffe dâArabia Vox.
âïž Lâhumeur de Donia Ismail
Il y a un souvenir que je chĂ©ris plus que dâautres. Un en particulier qui me fait sourire rien quâĂ son Ă©vocation. Dâailleurs, en Ă©crivant ses lignes, un jolie sourire habille mon visage. Et des larmes commencent Ă bercer mes yeux. Parce que souvenir pince mon cĆur un peu plus que les autres. CâĂ©tait en Ăgypte, Ă Alexandrie. On devait ĂȘtre en Ă©tĂ© 2009. CâĂ©tait lâun des premiers voyages en solo, avec mon papa. On Ă©tait dans notre appartement, Ă quelques mĂštres de la corniche. Ăa sentait le poisson, le narguilĂ© et les glaces. Mon pĂšre me faisait des spaghettis Ă la bolognaise, sa spĂ©cialitĂ©. Et il chantait, Ă tue-tĂȘte. CâĂ©tait surprenant parce quâavant ce jour, je ne lâavais jamais entendu chanter avec autant dâentrain. Il Ă©tait dans sa bulle, vivait son truc pleinement. Le mec Ă©tait en concert, il kiffait son moment. Alors moi, un peu perdue et totalement hallucinĂ©e par ce quâil se passait, je lui demandais du bout des lĂšvres: «Mais tu chantes quoi papa?». Et lĂ , il part dans une demi-heure de cours magistral sur Oum Kalthoum, lâimportance de Al Atlal -sa chanson prĂ©fĂ©rĂ©e et celle quâil chantait-, lâimpact de la Sit sur nos vies, sur la sienne⊠Le concert de Tanta, Ă quelques kilomĂštres de lĂ oĂč il vivait, la fiertĂ© quâil avait en disant quâelle Ă©tait Ă©gyptienne, comme lui. Du jour oĂč il appris son dĂ©cĂšs⊠Et puis il avait conclut ainsi:
«Tu sais, en Ăgypte, on dit quâon pleure trois fois. Ă la mort de Nasser, Ă celle de notre maman et Ă celle dâOum Kalthoum».Â
Je trouvais quâil abusait un peu, voire beaucoup. Oum Kalthoum, je voyais bien qui câĂ©tait. Enfin de loin. De toute façon, jâĂ©tais bien obligĂ©e. Jâai grandi dans une maison oĂč la musique classique arabe Ă©tait prĂ©dominante. Avec une mĂšre algĂ©rienne, passionnĂ©e de lâĂgypte et un pĂšre Ă©gyptien dâune fiertĂ© dĂ©complexĂ©e. Alors Oum Kalthoum, on en mangeait matin, midi, soir: lors de soirĂ©es, lors de trajets en voiture⊠à chaque instant. Finalement, elle Ă©tait lĂ . Tout le temps. Jâavais lâimpression que câĂ©tait une tante chiante, qui ne voulait pas nous lĂącher. Et franchement, Ă dix ans, ça me gonflait. Jâavais quâune envie câĂ©tait dâĂ©couter mon album de High School Musical ou des Jonas Brothers. Entendre Oum Kalthoum geindre pendant 1h30, ça me dĂ©passait. Et je le faisais savoir. Mais on me rĂ©pĂ©tait sans cesse: «Câest ton patrimoine. Il faut que tu Ă©coutes, que tu apprennes». Il a fallu du temps pour que je mây mette, que je comprenne pourquoi cette femme, qui venait dâune rĂ©gion rurale, comme nous, Ă©tait si importante dans le cĆur des Egyptiens. Pourquoi elle fascinait. Et surtout, comment mon pĂšre pouvait ĂȘtre aussi absorbĂ©e par sa prĂ©sence, ses chants.
Et puis un jour, jâai compris. Je ne saurais dire pourquoi ou comment, mais jâai compris. Câest peut-ĂȘtre Ă la 150e Ă©coute de ses classiques que ça mâa frappĂ©e. Jâai voulu tout savoir sur elle, sur son parcours. Alors jâai lu, autant que je le pouvais. Et jâai posĂ© de questions sans pouvoir mâarrĂȘter. Jâai voulu acheter tous les vinyles possibles et inimaginables, jâai repris lâarabe. Oum Kalthoum a renforcĂ© cette flamme Ă©gyptienne en moi. Ă travers elle, jâai compris lâĂgypte du XXe siĂšcle, et celle dâaujourdâhui. Jâai compris la musique, les instruments, les poĂštes et les Ă©crivains. Jâai compris la politique et la sociĂ©tĂ©. Jâai compris lâĂ©criture, lâagilitĂ© de la langue. Jâai compris la beautĂ© de lâarabe, du dialecte Ă©gyptien. Jâai compris enfin.
Oum Kalthoum, câĂ©tait lâĂgypte. CâĂ©tait mon pĂšre, ma tante, mes oncles et mes cousines. Oum Kalthoum, câĂ©tait moi et eux Ă la fois. CâĂ©tait mon lien avec le pays de mon pĂšre en musique.
JâĂ©tais en France certes, dans lâincapacitĂ© dây aller. Mais en Ă©coutant la Sit, jây Ă©tais. Pendant un quart de seconde, je me revoyais Ă Alexandrie, dans un cafĂ©, Ă jouer au tawla avec mon pĂšre. Et tout paraissait simple, beau, et doux. Tout dâun coup, je lâentendais chanter, et jâĂ©tais apaisĂ©e.Â
Alors quand en dĂ©cembre 2018, mon pĂšre dĂ©cĂšde soudainement, il mâa fallu du temps pour (rĂ©)Ă©couter Al Atlal. JâĂ©tais dans une pĂ©riode noire oĂč tout me rappelait mon papa. Et ces souvenirs Ă©taient douloureux. Ils piquaient, il me blessaient. Ils me faisaient pleurer, beaucoup. Mon cerveau divaguait et dâun coup je ne savais plus qui jâĂ©tais. Jâavais perdu mon seul lien avec lâĂgypte. Jâavais perdu ces journĂ©es Ă Alexandrie, Ă Mahallah et au Caire. Jâavais perdu la langue, les coutumes et les traditions. Je me retrouvais nue. Le seul Ă©lĂ©ment qui me rattachait Ă lâĂgypte Ă©tait mon passeport et mon nom. Le reste Ă©tait parti, avec lui.
Six mois plus tard, je retombais, avec ma maman, sur un documentaire dâArte. Lâun des meilleurs. «Oum Kalthoum, la voix du Caire». Je nâavais quâune envie, câĂ©tait de changer de chaĂźne, mais ma mĂšre sâest imposĂ©e. Elle voulait le voir absolument. Alors, je suis restĂ©e assise, effrayĂ©e de ce que la voix de la Sit pouvait faire remonter en moi. Et finalement, les larmes qui ont bercĂ©s mes joues -et il y en a eu beaucoup-, Ă©taient cathartiques. Je le revoyais, dans cet appartement dâAlexandrie chanter. Je nous voyais dans la voiture direction Sharm-el-Sheikh hurler les paroles de Alf Lela We Lela. Je revoyais les danses de ma mĂšre, les soirĂ©es, les rires, les dĂźners. Alors que jâĂ©tais dans mes souvenirs, ma mĂšre me dit: «Tu as de la chance dâĂȘtre Ă©gyptienne Donia». Et Ă cet instant, jâai souris, pour la premiĂšre fois depuis trĂšs longtemps.
Ps: Cette newsletter sort le jour de mon anniversaire et je nâaurais rĂȘvĂ© mieux. Parler dâOum Kalthoum, de mon Ă©gyptiannitĂ© et surtout, faire revivre mon papa le temps de quelques lignes. đ
Donia Ismail, rĂ©dactrice en cheffe adjointe dâArabia Vox.
đLa carte blanche Yanis Ratbi
Pour aller plus loin đ
«Les Divas et moi»: LâannĂ©e derniĂšre, le podcast dâArabia Vox consacrait un Ă©pisode hors-sĂ©rie sur les Divas du monde arabe Ă travers la voix de Donia Ismail. Â
«Oum Kalsoum, la diva au destin politique», Ă Ă©couter cet Ă©pisode sur France Musique qui revient sur rĂŽle politique primordial quâa jouĂ© la diva en Ăgypte mais Ă©galement dans tout le monde arabeÂ
Ce documentaire, si beau et juste dâArte: Oum Kalthoum, la voix du Caire.
Le livre, à nuit, Î mes yeux, de Lamia Ziadé (ed. P.o.l)
Le catalogue de lâexposition de lâInstitut du monde arabe, DIVAS: dâOum Kalthoum Ă Dalida.
Mini playlist â«
đŒ Al Atlal, Oum Kalthoum
đŒ Ala Balad El Mahbob, Oum Kalthoum
đŒ Fakarouny, Oum Kalthoum
đŒ Daret El Ayam, Oum Kalthoum
đŒ Misr Tatahaddath An Nafseha, Oum Kalthoum
đŒ Enta Omri, Oum Kalthoum
đŒ Ghaneely, Oum Kalthoum
đŒ Ya Msaharny, Oum Kalthoum
Pour en Ă©couter plein dâautres, il suffit de nous ajouter sur Spotify, Apple Music ou Deezer.đ¶
Notre playlist DIVAS đ en entier đ
đ Akhbar, les informations Ă ne pas manquer
DĂ©cĂšs du petit Rayan.Â
AprĂšs plusieurs jours de forages, le petit garçon de 5 ans qui Ă©tait tombĂ© accidentellement dans un puit assĂ©chĂ© de 32m au Maroc, a Ă©tĂ© extrait dans la soirĂ©e du 5 fĂ©vrier. Lâenfant nâa malheureusement pas survĂ©cu.LâĂgypte sâenvole en finale.
Les Pharaons ont vaincu les Lions Indomptables, organisateur de la compĂ©tition, ce jeudi 3 fĂ©vrier Ă lâissue dâune sĂ©ance de tirs aux but historique. AprĂšs avoir sorti successivement la CĂŽtĂ© dâIvoire, le Maroc et le Cameroun, les Ăgyptiens rĂ©siliants, qui Ă©taient mal partis dans cette compĂ©tition, atteignent ainsi la derniĂšre phase de la CAN. LâĂgypte, nation la plus titrĂ©e de lâhistoire de la compĂ©tition, affrontera le SĂ©nĂ©gal de Sadio ManĂ© ce dimanche 6 fĂ©vrier. Objectif: la huitiĂšme Ă©toile pour les Pharaons et la premiĂšre pour les Lions de la Teranga. Â
Un nouvel accord entre le Maroc et lâEspagne.
Ce jeudi 3 fĂ©vrier, le gouvernement espagnol a annoncĂ© un nouveau contrat dâacheminement de gaz vers le Maroc. «Le Maroc a demandĂ© un soutien pour garantir sa sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique sur la base de [nos] relations commerciales, et lâEspagne y a rĂ©pondu favorablement», a indiquĂ© le ministĂšre espagnol de la transition Ă©cologique dans un communiquĂ©. Ce nouvel accord survient alors que lâAlgĂ©rie, a annoncĂ© fin octobre mettre fin Ă son prĂ©cĂ©dent contrat avec le royaume. Les deux pays maghrĂ©bins ont rompus toutes relations diplomatiques en aoĂ»t dernier.
Amnesty dĂ©nonce un «systĂšme dâapartheid» en IsraĂ«l.
LâONG a qualifiĂ© mardi 1er fĂ©vrier, lors dâune confĂ©rence de presse Ă JĂ©rusalem, dâ «apartheid» la politique israĂ©lienne envers les Palestiniens. Amnesty a publiĂ© dans la foulĂ©e, un document volumineux, fruit de quatre ans de recherches, expliquant son choix dâutiliser ce mot. « Quâils vivent Ă Gaza, Ă JĂ©rusalem-Est, dans le reste de la Cisjordanie ou en IsraĂ«l, les Palestiniens sont traitĂ©s comme un groupe racial infĂ©rieur et systĂ©matiquement dĂ©possĂ©dĂ©s de leurs droits», a affirmĂ© AgnĂšs Callamard,  secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale dâAmnesty. LâĂtat hĂ©breux a fustigĂ© le rapport en amont de sa sortie. «"IsraĂ«l n'est pas parfait, mais c'est une dĂ©mocratie attachĂ©e au droit international et ouverte Ă tout examen minutieux» a dĂ©clarĂ© le ministre des Affaires Ă©trangĂšres israĂ©lien.Â
Finding Ola, la nouvelle pépite de Netflix.
Câest lâune des derniĂšres sĂ©ries arabes de Netflix. «Finding Ola» («Ola cherche sa voie» en français) vient dâarriver sur la plateforme amĂ©ricaine. La sĂ©rie suit Ola Abd ElSabour, interprĂ©tĂ©e par la fantastique actrice tunisienne Hend Sabry, dans une nouvelle Ă©tape de sa vie. Alors que son mariage sâeffondre, la pharmacienne de profession se dĂ©couvre enfin.Â
đ Previously sur Arabia VoxâŠ
Ce 5 fĂ©vrier, nous nous sommes rassemblĂ©s chez @ardi.concept.store pour le quatriĂšme KBC, sur le thĂšme du fĂ©minisme avec la fabuleuse Sarah de TheArabicNovel. Merci encore Ă toutes les personnes qui se sont dĂ©placĂ©es. Restez connectĂ©s pour connaĂźtre la date du prochain KBC. đđ
CâĂ©tait THE nouvelle: le podcast Arabia Vox a fait son GRAND RETOUR (yayyyy!). Dans ce premier Ă©pisode de la saison 3, Fatma Torkhani a reçu le bassiste de MashrouâLeila et architecte, Carl Gerges. đ§
Cette semaine du cĂŽtĂ© des Haja le Top, on vous prĂ©sente le rappeur Zamdane. đ¶
Arabia Vox a fĂȘtĂ© ses trois ans. đ Merci pour toute cette force!!!!
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