L'exil: documenter la douleur
Comment devient-on exilé ? Comment vit-on l’exil ? Sommes-nous voués à rester toute notre existence un étranger, fantasmant sa terre natale ? Les questions s'enchaînent et s’entrechoquent lorsqu’on aborde un thème aussi important et intergénérationnel que celui-ci.
Synonyme d’un nouveau départ, d’un avenir meilleur, il reste une expérience difficile. La douleur de s'éloigner de sa famille, de ses amis. L’arrachement à sa terre natale, celle qui nous a accueillis et qui nous a fait vivre nos premiers émois de la vie. S’ajoute à cela la dureté de devenir un étranger, un paria dans une nouvelle société, qui n'hésitera pas à nous faire porter tous ses maux à la moindre occasion. Bon nombre d’exilés n’en parlent pas, taisent cette douleur, se disent qu’il faut passer à autre chose, que dans leur malheur, ils sont chanceux de s’en être tirés. Le monde arabe a souffert d’une très grande instabilité, de nombreux conflits et de dictatures qui ont dispersé ses habitants aux quatre coins du monde. On peut citer, la décennie noire en Algérie, l’exil du peuple palestinien qui se retrouve morcelé dans de nombreux pays ou encore les différentes guerres civiles libanaises. Et comme si cela n’était pas assez, l’exil continue à nous suivre comme une ombre noire qu’on aimerait semer. Ces dernières années, il a beaucoup été question de réfugiés syriens ou tout simplement d'immigrés nord-africains qui tentent de rejoindre l’autre rive de la Méditerranée.
Tandis qu’on tente de connaître et de ressentir les exils de nos aînés dans les hymnes que sont devenus Ya Rayah de Rachid Taha ou encore Wahrane Wahrane de Cheb Khaled, les langues d’une nouvelle génération diasporique se délient pour relater, décrire et mettre des mots sur leurs vécus. C’est le cas de notre journaliste Sabrine Mimouni qui a eu le courage de nous livrer son départ du Maroc pour la France. Nous accueillons également une invitée de marque en la personne de Neïla Romeyssa, créatrice du compte instagram @commun.exil sur lequel elle publie et documente nos expériences. Pour 3ala Belek, elle partage un poème «Je suis prête». Yanis Ratbi nous livre une création inspirée de l’artiste palestinien Sliman Mansour avec une citation Omar Youssef Souleimane.
Bonne lecture💌
Un édito de Fatma Torkhani, fondatrice et rédactrice en cheffe d’Arabia Vox.
💭 Le mot de Neïla Romeyssa
JE SUIS PRÊTE
La société peut-être l’incarnation de soi
Elle peut être douce ou déclencheuse d’émois
Elle peut-être enchantrice ou faire certains dégâts
Mais la société ose, elle crée sa propre saga.
C’est là que les codes s’imposent, ils deviennent lourds
Nous décidons donc de les quitter, il est temps
De partir, aller dans l’autre rive, mais attends
D’être assez prête pour ne pas vivre le détour.
Non, je n’ai jamais craint le retour, si seulement
Je pouvais sentir le manque, retrouver maman
Retrouver mes proches, tenter d’attirer l’amour
Reconquérir les sens, les envies... Faire un tour.
Les terrasses de cafés, restaurants délaissés
L’odeur des sardines, quelques frites et fricassés
Et puis, il y a ces moments de balades sacrées
Nos corps défilent sous le ciel aux nuances nacrées.
C’est elle, c’est la lumière de ma ville, celle d’Alger
Et je l’ai troqué contre un temps plus enneigé
Suis-je une lâche ? Car on m’appelle la déracinée
Partie, j’envie maintenant la ville où je suis née.
Progressivement je m’y fais, seule je m’emporte
Je suis passée de l’autre côté, j’ai pris la porte
Tentant pour le mieux d’apprendre l’intégration
Aussi, je suis nostalgie, je fais attention.
Ne pas couler, ni céder à la tentation
Paris est une ville du diable, de non-prohibition
J’ai remué ciel et terre jusqu’à les traverser
Qui daignera donc m’arrêter dans ma lancée ?
C’est ce que je suis, exilée, jeune et immigrée
J’ai combattu contre le noir et pour l’espoir
Je suis partie aujourd’hui de mon propre gré
Je ne regrette rien, ni le jour, ni le soir.
Ici, je m’y fais je crée ma propre routine
Alors, j’écris donc mes profonds pleurs de poitrine
J’écris mes rires, mes pensées, mes larmes et mes rêves,
Mes souvenirs, mes plaisirs, sans une quelconque trêve.
Le voici, c’est lui, mon tendre et si rude exil
Il ne m’est pas obligé mais il est mental
Il semble pourtant simple et quelque peu banal
Mais l’amas de tendresse et le temps qui file
Le rendent complexe, le rendent difficile et bancal
Sa tendresse se chevauche avec l’ivresse du temps
Nos souvenirs nous démangent, nostalgie d’antan
Dans l’esprit, le brouhaha du café familial.
Et tous ces souvenirs qui ont aussi pris l’avion...
Ne sont que le fruit de ce que j’ai pu subir
Quelques flashback, des tonnes de remémorations
Passage obligé, pour pouvoir ensuite se suffire.
L’exil est rude, oui, mais il est aussi douceur
Avec un soupçon de regrets et de rancoeurs
Quelques est d’opinion mal placée, il est malheur
Mais plus que tout, l’exil provient du fond du coeur.
L’exil est rude, oui, mais il est aussi essentiel
Pour lui on traverse les mers, on regarde le ciel
Crier et se briser la nuque, désirs mutuels
Partons, quittons-le, ce pays si cruel.
L’exil est rude, oui, mais il est aussi amour
Il peut même être drôle, avoir le sens de l’humour
Parfois, il est taquin, il nous joue des tours
Mais l’aimer, peut être la porte d’entrée d’un beau séjour.
En soit, l’exil est un grand passage obligé
À vingt, trente, ou quarante ans, nous voulons changer
C’est de la sorte que nous humains, grandissons
Tendrement, nous marcherons ensemble, à l’unisson.
Ainsi, je me remémore encore les moments
Ceux du passé, ceux des réunions et des fêtes
Mais aujourd’hui je suis fière. Et amoureusement
Je trinque aux ans passés, leur disant : « je suis prête ».
Un poème de Neïla-Romeyssa @neilaromeyssa, créatrice du compte @commun.exil
✍️ L’humeur de Sabrine Mimouni
Détergent et micro-onde : mes premiers souvenirs en France.
Une odeur de détergent au citron. C’est la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je pense à mon exil et à mon arrivée en France. À environ 5 ans, j’ai quitté le Maroc. À cet âge là, je n’avais aucune notion de ce qu’était l’exil. J’allais pourtant devenir une exilée. Une petite fille marocaine qui quitte son pays pour ce qu’on appelle un «avenir meilleur». J’ai laissé toute ma famille dans mon pays. À Oujda plus précisément où mes grands-parents et mes tantes m’élevaient. C’était un déchirement. Sans doute le plus grand de toute mon existence.
Je me revois encore quitter le quartier de El wad nachef où mes grands-parents avaient une petite maison. Toute la famille y vivait. On formait un noyau solide et imperturbable. Mais tout ça s’est brusquement arrêté le jour où mon père a décidé d’utiliser le fameux regroupement familial. Il vivait en France depuis quelques années déjà. Il est venu me chercher et nous sommes montés à l’arrière de ce pick-up. Tout s’est alors terminé.
Le fait d’être montée dans cette voiture a littéralement sonné la fin d’une période de ma vie.
La fin de cinq années d’amour inconditionnel. Cinq années durant lesquelles mon grand-père m’a appris à faire du vélo à bord de ce petit vélo rouge. Cinq années durant lesquelles ma tante Saliha a veillé très tard pour m’apprendre l’alphabet et l’écriture. Cinq années durant lesquelles ma tante Naïma faisait preuve de patience en jouant à la poupée avec moi.
Je revois encore mes grands-parents, mes tantes et les voisins, dont nous étions très proches, descendre la rue pour accompagner le véhicule sur la piste. Je revois encore leurs regards remplis de larmes et d’espoir pour mon avenir. Je revois encore mon père, assis à côté de moi me promettre que tout ira bien. 20 ans plus tard, ces images ne me quittent toujours pas. Je mourrai sûrement avec. Mon père et moi avons fait le trajet légalement. En toute tranquillité. En car, puis en bateau, puis de nouveau en car. Mon père était aux petits soins. C’était d’ailleurs une des seules périodes où nous avons été vraiment proches.
Une fois débarqués en France, il a vaqué à sa vie et m’a confiée à sa sœur, ma tante, qui allait devenir une véritable mère pour moi. J’oubliais de le mentionner : ma mère biologique a disparu l’année de mon départ.
Revenons-en au détergent. Son parfum embaumait le hall du 12e étage de la cité Pierre et Marie Curie, aka ma nouvelle maison, la première fois que j’y ai mis les pieds. Pour moi, ce détergent sentait la France. C’est risible dis comme ça, c’est vrai. Mais c’est la première chose qui m’a véritablement frappée à mon arrivée. Je ne l’oublierai jamais. Tout comme les premiers mots que mon cousin, devenu mon frère, m’a «officiellement» appris : hamburger et micro-onde. Oui, la suprématie de l’anglais était déjà à son paroxysme en 2002. Bref, le détergent, l’hamburger et le micro-onde ont marqué le début de ma nouvelle vie d’enfant immigrée. Mon intégration en classe de CP s’est hyper bien passée. Ma tante Saliha m’a donnée de très bonnes bases en Français. Je n’ai donc pas eu besoin de passer par la classe des gens qui arrivent du bled. J’étais à l’aise. Je n’ai à aucun moment senti de décalage durant mon enfance. Le whitepassing était déjà là. Et que je le veuille ou non, il m’a permis de mieux vivre cet exil.
Aujourd’hui, j’ai 25 ans et je suis française. Mais la plus grosse partie de mon cœur est toujours à Oujda. Un fragment est enterré avec mon tendre grand-père. Un autre est dans la nouvelle maison familiale où vivent toujours ma grand-mère et ma tante Saliha.
Rassurez-vous je ne suis pas là pour vous faire pleurer. Mon histoire est loin d’être tragique. Je suis devenue ce que j’ai toujours voulu être. Mais mon tiraillement est réel. Le cœur et le corps d’un.e immigré.e ne sont jamais réunis.
🖍La carte blanche de Yanis Ratbi
Pour aller plus loin 🔍
Le recueil de poème de Nawel Ben Kraïem, J’abrite un secret (éditions Bruno Doucey)
Le compte instagram créé par Neïla Romeyssa, @commun.exil où elle publie chaque jour des paroles d’exilés.
Le film, Les années de l'exil de Nabyl Lahlou (2002)
L'Observatoire des camps de réfugiés, fondé par l’incroyable Rima Mobarak
Le dernier film de Elia Suleiman, It Must Be Heaven (2019)
Et les classiques Ya Rayah (gros cœur sur l’original de Dahmane El Harrachi) et Wahran Wahran de Cheb Khaled.
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👀 Previously sur Arabia Vox…
Notre tout premier KBC a eu ENFIN lieu le samedi 6 novembre chez @ardi.concept.store. On a parlé de la littérature en temps de colonisation avec le livre Le pain nu de Mohamed Choukri. Le tout animé par le génial Yanis Ratbi. C’était si puissant, si chouette. Merci à toutes les personnes qui sont venus. On vous annoncera très (très) bientôt la deuxième édition. Alors soyez ) l’affût…📚
Du côté des Haja le Top, deux artistes. Le premier, un groupe qu’on ne présente plus, 113. La deuxième, Lella Fadda, prodige égyptienne. 🎶
Dans le Avalidé de la semaine, nous sommes heureux de vous présenter le podcast l’Orient à l’envers que l’on adore chez Arabia Vox! 🎧
À l’occasion de l’aniversaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale, nous sommes revenus sur la place des «Indigènes» au sein de ce conflit, mais aussi la Révolte arabe.
Vous êtes plus de 4.000 à nous suivre (sah, on a les larmes aux yeux). Merci! Pour vous remercier de votre soutien infaillible, on vous a organisé un petit concours sympa. À gagner, cinq livres de Mohamed Choukri, Le pain nu (et merci les éditions points!), ainsi que cinq bracelets faits par nos soins. Vous voulez participer? On vous explique tout sur ce post.