Le 17 octobre 1961, n'oublions jamais.
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Ce dimanche 17 octobre 2021, on ouvre le bal avec une thĂ©matique sur laquelle on travaille quotidiennement chez Arabia Vox, «la mĂ©moire».Â
Combien dâentre nous sont capables de dire ce quâils ont mangĂ© hier ? Combien dâentre nous ont dĂ©jĂ rĂȘvĂ© d'avoir une alarme sur leurs clĂ©s, leurs lunettes, ou tout autre objet du quotidien afin de le retrouver plus facilement, parce quâon ne se souvient plus de son emplacement ? Ă la fois fragile et essentielle, la mĂ©moire peut nous faire dĂ©faut Ă tout moment, nous emmenant Ă oublier les futilitĂ©s du quotidien, mais Ă©galement les luttes, les sacrifices et les vies de nos ainĂ©s. Aujourdâhui nous souhaitons alors nous rappeler, nous remĂ©morer et commĂ©morer le 17 octobre 1961. La nuit qui a vu la police française tabasser, tuer et jeter Ă la seine des manifestants AlgĂ©riens. Ici la mĂ©moire nâest pas une question dâoubli mais de dĂ©ni. Un dĂ©ni entretenu par lâĂtat français durant des annĂ©es qui a livrĂ© une version faussĂ©e des Ă©vĂ©nements -en incriminant les AlgĂ©riens, les «étrangers violents» auxquels la police française nâaurait fait que rĂ©pondre-, puis en diffusant massivement cette version dans les mĂ©dias. Le photographe Elie Kagan, racontera plus tard la dure tĂąche que fĂ»t la sienne pour vendre ses clichĂ©s, tant les mĂ©dias se contentaient de la version officielle du gouvernement.Â
Il a donc fallu attendre 1991 avec la publication de lâouvrage La Bataille de Paris, de lâhistorien autodidacte Jean-Paul Einaudi, pour que les AlgĂ©riens soient enfin entendus. Depuis, la question cristallise encore. Sans doute, parce quâelle Ă©voque deux grands tabous français : la critique de lâinstitution policiĂšre et le passĂ© colonial de la France, dont lâaccĂšs aux archives. Soixante ans plus tard, le 16 octobre 2021, Emmanuel Macron dĂ©nonce «des crimes inexcusables», «commis sous lâautoritĂ© de Maurice Papon». Le prĂ©sident a souvent Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme plus ouvert que ses prĂ©dĂ©cesseurs sur ces questions. Si reconnaissance il y a, sâagit-il dâun Ă©niĂšme opportunisme ou dâune vĂ©ritable dĂ©marche de rĂ©conciliation ? Câest ce que vous expliquera Donia Ismail, rĂ©dactrice en chef adjointe dâArabia Vox.
Le 17 octobre, ce sont donc des hommes et des femmes qui ont Ă©tĂ©s privĂ© de vie, parce quâils Ă©taient AlgĂ©riens. Des AlgĂ©riens et AlgĂ©riennes quâon a jetĂ©s dans la Seine. Câest Ă eux que Yanis Ratbi dĂ©die son poĂšme Souviens toi. Il lâaccompagne ici dâune rĂ©alisation reprenant le documentaire Ici on noie les AlgĂ©riens de Yasmina Adi. Pour que leurs noms et leurs visages soient Ă jamais imprimĂ©s dans nos mĂ©moires collectives.Â
Bonne lectuređÂ
Un Ă©dito de Fatma Torkhani, fondatrice et RĂ©dactrice en cheffe dâArabia Vox.

âïž Lâhumeur de Donia Ismail
Depuis deux jours, la date du 17 octobre 1961 est sur toutes les lĂšvres. Ă la une de la presse française, dans les journaux radios et tĂ©lĂ©visĂ©s. Jamais, on en avait autant parlĂ©. Jamais, je nâavais vu autant ces images crĂšve-cĆur de manifestants AlgĂ©riens, les mains en lâair, encerclĂ©s par la police. Ne sachant pas encore quel serait le dĂ©nouement de cette soirĂ©e sanguinaire. Elles circulaient uniquement sur les rĂ©seaux sociaux, ces images. DiffusĂ©es par une communautĂ© plutĂŽt militante. Mais aujourdâhui, le temps de quelques heures, lâanniversaire de cette nuit tragique fait les gros titres. Emmanuel Macron sâest rendu sur le pont de Bezons Ă Colombes (Hauts-de-Seine) et a reconnu «une vĂ©ritĂ© incontestable». Celle dâun Ătat assassin qui a rĂ©primĂ©, avec une violence inouĂŻe, une manifestation pacifique, puis massacrĂ© et jetĂ© dans la Seine plusieurs dizaines dâAlgĂ©riens vivant en France. On nous parle dâun pas important. Un pas que ces prĂ©dĂ©cesseurs nâont pas fait. Certes. François Hollande sâĂ©tait contentĂ© de reconnaĂźtre lâĂ©vĂ©nement. Et les autres lâont tout simplement omis. Alors oui, bravo dâavoir dĂ©noncĂ© «des crimes inexcusables», «commis sous lâautoritĂ© de Maurice Papon». Câest un beau geste. Pourtant, il sonne faux, ce geste. Ou du moins, il nâest pas complet. Dâabord, parce que ce nâest pas lâĂtat quâil dĂ©nonce comme responsable de cette violence, mais Maurice Papon, prĂ©fet de police de Paris au moment des faits. Et ça, câest une diffĂ©rence importante.
Puis, car ce prĂ©sident que lâon applaudit aujourdâhui est le mĂȘme qui, il y a quelques semaines, reprenait lâargumentaire le plus sombre de lâextrĂȘme droite.
Lorsquâil dit face Ă des jeunes que lâĂtat algĂ©rien nâexistait pas avant la colonisation française -et donc suggĂšre que la France a construit lâAlgĂ©rie-, il reprend les thĂšses dâEric Zemmour, de Jean-Marie Le Pen, et de Robert MĂ©nard. Celle de la «NostalgĂ©rie», ces nostalgiques de lâAlgĂ©rie française qui sâinsurgent lorsque lâon ose affirmer que la prĂ©sence de lâĂtat français en AlgĂ©rie nâĂ©tait pas justifiĂ©e. Pire, quâelle a Ă©tĂ© violente. Avec de tels propos, Emmanuel Macron donne du grain Ă moudre Ă ces hommes aux idĂ©es nausĂ©abondes. Parce que finalement, ce qui est dit en filigrane est que la France aurait sauvĂ© lâAlgĂ©rie, quâelle lâa modernisĂ©e en construisant des hĂŽpitaux, des routes et des aĂ©roports. Alors oui, câest vrai. La France a construit des lignes de chemin de fer. Vous me direz Ă©galement, quâil Ă©tait difficile pour les AlgĂ©riens en 1820 de faire de mĂȘme, la RĂ©volution industrielle ne commençant quâĂ la fin du siĂšcle. Ăa tombe sous le sens.Â
Ă la question, y-avait-il un Ătat algĂ©rien avant lâinvasion française, monsieur Macron je laisse Benjamin Stora, grand historien, spĂ©cialiste de cette pĂ©riode, et accessoirement lâhomme Ă qui vous avez commandĂ© un rapport sur la Guerre dâAlgĂ©rie, vous rĂ©pondre. «La rĂ©gence dâAlger avait tous les attributs dâune souverainetĂ©. La preuve, Ă qui on donne le coup dâĂ©ventail en 1827? Au consul de France. Il y avait par consĂ©quent des consuls qui se sont succĂ©dĂ© pendant des annĂ©es Ă Alger. Donc, il y avait un Ătat.» Aussi simple que cela non?
Alors Ă quoi joue Emmanuel Macron? Est-ce un geste honnĂȘte? DĂ©nuĂ© de toute stratĂ©gie politique? Nous ne sommes pas naĂŻfs. Ă moins dâun an de lâĂ©lection prĂ©sidentielle, Ă©videmment que toute parole est politique. Ce qui nâest quâune stratĂ©gie Ă©lectorale pour le prĂ©sident, est une mĂ©moire avec laquelle il faut cohabiter pour dâautres. Nous, la deuxiĂšme ou troisiĂšme gĂ©nĂ©ration, ces blessures, on y est confrontĂ©es chaque jour. Ce passĂ© est le nĂŽtre. Il nâest en aucun cas le moyen pour Emmanuel Macron de se prĂ©senter sous un meilleur jour. Car, nous franco-algĂ©riens, pris entre deux Ă©taux, avons le droit de connaĂźtre la vĂ©ritĂ©. Car les plaies de nos aĂźnĂ©s, sont devenues les nĂŽtres. Nous aimerions les panser. Alors, Emmanuel Macron, arrĂȘtons les parades symboliques et affrontons le problĂšme Ă sa source.
Donia Ismail, rĂ©dactrice en cheffe adjointe dâArabia Vox.
đLa carte blanche Yanis Ratbi
Souviens toi
Souviens toi la guerre et le sang
Par quelconques enchantements
Ils sommeillent en toi, lointains et puissants
Aussi luisants quâune lame dâargent
Souviens toi les succĂšs et les grands
Par quelconques raisonnements
Rien de plus logique dans ce cheminement
Ils sont ton honneur et ton énorgueillement
Souviens toi
à la mémoire de tes soeurs, de tes tantes, de tes mÚres...
à la mémoire de tes frÚres, de tes oncles, de tes pÚres...
LâHistoire sâĂ©crit et se rĂ©pĂšte de maniĂšre circulaire.
«Jâai voulu rendre hommage aux femmes et aux hommes qui ont manifestĂ© pacifiquement le 17 octobre 1961 et qui ont Ă©tĂ© tuĂ©s. Dire quâon nâoublie pas, et que le sang des manifestant restĂ©s en vie coule dans nos veines. Une histoire marquĂ©e au fer rouge dans nos cĆurs. Un appel Ă la reconnaissance du crime.» - Yanis Ratbi
Pour aller plus loin đ
La plateforme RĂ©cits dâAlgĂ©rie qui fait un travail gigantesque de collecte de tĂ©moignages de personnes qui ont vĂ©cu cette pĂ©riode. On vous invite Ă les suivre sur Instagram.
Pour comprendre les annĂ©es qui ont prĂ©cĂ©dĂ© la Toussaint rouge (le 1er novembre 1954, date qui correspond au dĂ©but de la Guerre dâAlgĂ©rie), on vous invite Ă regarder Chronique des annĂ©es de braise de Mohamed Lakhdar-Hamina.
Mais aussi, le documentaire Ici on noie les Algériens de Yasmina Adi.
Le nouveau son de Médine, 17 octobre 1961.
đ Akhbar, les informations Ă ne pas manquer
Morts et blessĂ©s au Liban: le 14 octobre, au moins trois personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es et 20 ont Ă©tĂ© blessĂ©es durant des protestations Ă Beyrouth. OrganisĂ©es par les mouvements Amal et le Hezbollah, les manifestants exigeaient le limogeage du juge chargĂ© de lâenquĂȘte sur lâexposition du port de Beyrouth.
Dissolution dâune association en AlgĂ©rie: RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse), un des principaux mouvements de la jeunesse algĂ©rienne a Ă©tĂ© dissous, le 13 octobre 2021. Le MinistĂšre de lâIntĂ©rieur lui reproche d'agir «en violation de la loi sur les associations». RAJ y voit une volontĂ© de continuer Ă rĂ©primer le Hirak et tout ce qui y ont participĂ©.
Condamnation dâun Ă©niĂšme journaliste au Maroc: le journaliste Soulaimane Raissouni a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă cinq ans de prison par la justice marocaine. RĂ©dacteur en chef de «Akbar Al Youm» et en grĂšve de la faim depuis trois mois, il a Ă©tĂ© poursuivi pour faits dâagression sexuelle. Des dĂ©fenseurs des droits humains y voient une atteinte Ă la libertĂ© de la presse.
Deux ans de prison pour SaĂŻd Bouteflika: le frĂšre de lâancien prĂ©sident a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă deux ans de prison pour «entrave au bon dĂ©roulement de la justice», le 13 octobre. Il avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en mai 2019 et condamnĂ© Ă 15 ans dâemprisonnement pour «complot contre lâarmĂ© ». En janvier, une cour dâappel militaire lâavait acquittĂ©. Il est Ă©galement citĂ© dans dâautres affaires en cours dâinstruction.
Ons Jabbeur, premiĂšre joueuse arabe dans le top 10: la tunisienne de 27 ans, Ons Jabeur, est assurĂ©e de devenir dĂšs lundi prochain la premiĂšre joueuse arabe Ă entrer dans le Top 10 mondial. La quart de finaliste a dĂ©clarĂ© : «JâespĂšre pourvoir inspirer la nouvelle gĂ©nĂ©ration. Peu de joueurs de mon pays pratiquent le tennis.»
đ Previously sur Arabia VoxâŠ
Arabia Vox a annoncĂ© son tout premier Ă©vĂ©nement physique (ENFIN): Le Kahwa Book Club, qui aura lieu une fois par mois. Le premier KBC aura lieu le samedi 6 novembre chez @ardi.concept.store pour parler de la littĂ©rature en temps de colonisation avec le livre Le pain nu de Mohamed Choukri. Le tout animĂ© par Yanis Ratbi. LâĂ©vĂ©nement est dĂ©jĂ complet, mais restez Ă lâaffĂ»t pour la deuxiĂšme Ă©dition. đ
Quoi de mieux quâune bonne playlist pour bien commencer la semaine?
Cette annĂ©e, le mĂ©dia musical @bopavecadel propose sa playlist une fois par mois Ă Arabia Vox. On ne sait pas vous, mais on SURKIFFE đ§Cette semaine dans Haja le Top, on vous prĂ©sente Tawsen. Belge dâorigine marocaine, @tawsen est un artiste mĂ©langeant avec perfection pop, raĂŻ et rap! đ¶
Dans le AvalidĂ© de la semaine, nous sommes heureux de vous prĂ©senter la marque @cheznousbrand fondĂ©e par @cameliabarbs ! Ăcologique, responsable et inclusive, elle reprĂ©sente toutes nos valeurs. Parce quâil est important de soutenir les initiatives, vous pouvez participer Ă la campagne de financement participative de @cheznousbrand.
Cette semaine, câest aussi le retour de lâĆil dâArabia Vox. Le premier aborde le film Dune, Denis Villeneuve. Est-ce une ode Ă lâimpĂ©rialisme? đ